Habillés pour l'hiver.

Publié le par Lectaritude et zôtres critures

 

 

 

« Habillés pour l’hiver»
Auteur : David Sedaris
Pays : Etats-Unis
Genre : Nouvelles (J)
Editeur : 10-18,
Date : Septembre 2007
Avis :  «««««              
 
 
 
 
Quoi de mieux que lire des nouvelles lors d’un long voyage en train ou en avion, dans l’espoir de venir à bout d’une ou deux avant de s’avouer vaincu par le rouli-roula des rails ou les vrombissements des réacteurs et de céder à la somnolence.
 
J’opte donc pour « Habillés pour l’hiver » dont la quatrième de couverture tend à me suggérer que je vais me poiler (même si je sais que ce genre d’accroche n’est, à coup sûr, destinée qu’à m’inciter à choisir ce livre plutôt qu’un autre, et qu’elle n’est qu’un appât à ma déception) :
 
« Au fil de réflexions désopilantes sur lui-même et les autres, David Sedaris nous entraîne ici dans son monde déjanté. Chaque chapitre est truffé d'anecdotes hilarantes et d'histoires de famille burlesques : des vignettes irrésistibles où David Sedaris passe sans cérémonie des souvenirs du petit garçon bourré de tics et d'une folle imagination, aux touchantes évocations d'une adolescence complexée et d'expériences professionnelles loufoques. Une magistrale leçon d'humanité. »
 
« Désopilantes » à la rigueur, mais « hilarantes », faudrait pas pousser le bouchon un peu trop loin là Maurice !
 
Quoiqu’il en soit, ces 22 nouvelles nous racontent la prime jeunesse de Sedaris, et les rapports avec ses parents ou ses connaissances (car de l’amitié, il s’en garde) seraient mieux qualifiés de grinçants, de même que la période post hippie dans laquelle se déroule ces chroniques. Vient ensuite le cheminement de son évolution en âge et en maturité dans un monde décidément peu en joie.
Néanmoins, et c’est heureux, on s’amuse beaucoup à la lecture, le style y est fluide, imagé (le plus drôle), sans complaisance.
 
Pour exemple :
 
« Ma mère avait une grand-tante qui habitait près de Cleveland et qui vint nous rendre visite une fois à Binghamton, dans l’Etat de New York. J’avais six ans, mais je revois clairement sa voiture remontant l’allée nouvellement pavée. C’était une Cadillac gris métallisé conduite par un chauffeur coiffé d’une casquette plate, le genre de celle que portaient les policiers. Il ouvrit la portière arrière avec une grande solennité, comme s’il s’agissait d’un carrosse, et nous aperçûmes les chaussures de la grand-tante, des chaussures orthopédiques mais en cuir raffiné et ouvragé, avec des talons courts en forme de bobine. Les chaussures furent suivies par l’ourlet d’un manteau de vison, le bout d’une canne et puis, pour finir, par la grand-tante en personne, qui était grande parce qu’elle était riche et n’avait pas d’enfants.
« Oh ! Tante Mildred », dit mère, et nous la regardâmes bizarrement. En privé, elle l’appelait « Tante Frique », un croisement de « fric » et de « bique » ; son vrai nom était donc une nouveauté pour nous. »
« C’était à cela que servait l’argent : à être libre d’acheter sans marchander des rabais ou des crédits à faible taux. Pour remplacer son break mon père avait mis des mois, au cours desquels il avait tyrannisé les vendeurs jusqu’à ce qu’ils soient prêts à tout pour se débarrasser de lui. Il exigea, et obtint, une assurance longue durée sur le réfrigérateur, ce qui, pour moi, revenait à dire qu’au cas où l’appareil fuirait en 2020, mon père sortirait de sa tombe pour venir l’échanger. »
 
Le désopilant :
 
« Un an auparavant, elle (Gretchen, la sœur du narrateur et de Lisa) avait acheté un couple de tortues chinoises carnivores au nez pointu et à la peau bizarrement translucide. Elles vivaient toutes les deux dans un enclos extérieur, relativement heureuses, jusqu’au jour où des ratons laveurs avaient creusé sous la clôture, et avaient dévoré les pattes avant de la femelle et les pattes arrière de son mari.
« C’est peut-être l’inverse, dit Lisa. Mais tu vois le tableau. »
Le couple survécut à l’attaque et continua à chasser les souris vivantes qui constituaient leur ordinaire, en se propulsant en avant comme deux Coccinelle à moitié décarrossées.
« Le plus triste de l’histoire, c’est qu’elle a mis deux semaines à s’en apercevoir, dit Lisa. Deux semaines ! »…/…
D’après Gretchen, les tortues n’avaient pas le souvenir de leurs membres disparus, mais Lisa n’en croyait pas un mot.
« Allons donc. Elles doivent au moins ressentir des douleurs fantômes. C’est vrai, comment une créature vivante pourrait-elles ne pas ressentir la perte de ses pattes ? » »
 
La critique du livre la plus appropriée que j’ai trouvé (et je n’aurais pas mieux fait) est encore celle-ci :
 
« Humour toujours légèrement décalé, approche insolite, logique idiomatique, faux départs, virages à 90 degrés, art consommé de la chute et sens athlétique de la formule, il n'est pas un souvenir passé au prisme de son shaker narratif qui ne montre David Sedaris aux limites du hors-champ, cultivant savamment sa marginalité identitaire. »
Judith Steiner, Les Inrockuptibles
 
La quatrième se l’est jouer, mais pas tant que ça.

Publié dans Nouvelles

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