L’élégance du hérisson, chronique alternative.

Publié le par Lectaritude et zôtres critures






« L'élégance du hérisson »
Muriel Barbery
France
Roman
Gallimard
Juin 2006
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A la question quels livres emporteriez-vous sur une île déserte, David Lodge répondait :

« Forcément « Ulysse » de Joyce, l'un de mes livres préférés, sur lequel j'ai souvent fait cours. Sur une île déserte, il est crucial d'emporter des livres qu'on peut relire sans fin. C'est le cas de Joyce, et aussi de Jane Austen qui, pour un Anglais, offre un plaisir de lecture inépuisable. J'allais mentionner Dickens, mais il existe une nouvelle d'Evelyn Waugh (« l'Homme qui aimait Dickens ») où le héros est séquestré dans la jungle par un fou qui l'oblige sous la menace à lui relire perpétuellement les œuvres de Dickens ! Emporter Dickens sur une île déserte risquerait donc d'apparaître comme un châtiment ou une torture. Je choisirais alors plutôt un roman d'Evelyn Waugh, « Ces corps vils ». On peut le relire indéfiniment, et éclater de rire chaque fois aux mêmes passages. »

 

C'est plutôt bien vu, pas dénué de sens, et drôle, non ?

 

Jusqu'à présent je répondais à la question (même si mon style, mon argumentation, mon humour sont moins pertinents et de sens moins pratique que David Lodge) par « le monde selon Garp » de John Irving parce que avec ce livre j'ai découvert la littérature contemporaine, celle où apparemment tout était permis, le brio, le talent et l'imagination au service de la liberté du récit. Maintenant je lui préfère « L'élégance du Hérisson » de Muriel Barbery.

Le livre intelligent sur l'intelligence, celle de tout le monde qui doit occuper son quotidien pour subsister et ne pas sombrer dans la folie, celle des gens que l'on aime à doter d'un cerveau de mouton pour le fondre dans le troupeau et en parler comme d'un numéro afin de nier l'autre et montrer que soi, contrairement aux nombres, on existe.

 

Mais l'intelligence n'est pas un but en soi, c'est l'outil pour s'ouvrir à l'Art, et pour rester dans la masse, ne pas fustiger l'attention, la jalousie, les conséquences et avoir la paix. Il faut se cacher de lire Tolstoï ou Kant, d'écouter Mozart ou Sati, d'aimer les natures mortes de Pieter Claez ou de Willem Kalf, quoi de mieux alors qu'une loge de concierge, sa panoplie et son labeur pour y parvenir. Renée s'y emploie depuis presque 30 dans un immeuble cossu, rempli de gens cossus à des lustres de connaître le wabi. L'intelligence n'est pourtant pas le moyen pour Renée de s'ouvrir aux autres, son acuité lui octroie une lucidité sans compromis qui la conforte dans son repli.

 

Parallèlement à cette quête du beau, de l'Art, de l'invisibilité aux autres, il y a Paloma, une jeune fille de 12 ans, très précoce comme on dit des surdoués, et qui se cache aussi. Elle a décidé de renoncer à vivre dans le bocal des conventions, convenances, de ce qu'il-faut-faire-et-vivre-pour-y-arriver, à suivre le schéma inéluctable et tout tracé, que lui réserve son destin. Elle a donc décidé de se suicider le jour anniversaire de ses 13 ans. Pour ne pas vivre ses derniers jours dans l'expectative de cette fin, elle remplit un premier journal de pensées profondes, inspirées des rencontres du jour, des situations familiales et de voisinages, des expériences d'un quotidien dans lequel elle décide de puiser les réflexions sur un monde immuable et sans épanouissement. Puis un deuxième sur les mouvements du monde qui, pour ne pas se laisser abattre, rend compte de ces moments volés à l'imperceptible et l'anodin, et se révèlent sous un jour plus extraordinaire.

 

Dans la vie sans promesse de Paloma et sans attente de Renée, vient s'insinuer d'autres personnages, des découvertes précieuses que réserve parfois la vie pour qui sait voir, pour qui sait lever le nez de la pointe hypnotisante de ses chaussures.

 

Non, finalement, ce n'est pas un livre sur l'intelligence, plutôt un livre intelligent sur le monde sans concession dans lequel nous passons, sur une vision lucide de ce monde.

 

A me lire on pourrait croire que L'élégance du hérisson est un livre ennuyeux à mourir, à établir la « check List » des illustres que l'on devrait connaître et que l'on ne connaît pas, de théories de haute volée et rebelles, voire révolutionnaires, qui clouent le bec à toute autre argumentation faute de matière, comme un discours à la Besancenot, mais non, pas du tout. Ce livre est extrêmement drôle, très juste et très drôle. Une vision lucide et lugubre certes de notre société mais qui a foi, sans vouloir l'avouer, comme nous cherchons à cacher nos faiblesses, à l'humain, sa bienveillance à nous voir. Un précieux de mots, un français peu lu, peu vu, du miel pour nous les abeilles.

 

Quelques extraits difficilement choisis tant ce livre est plein, sans bulle à la cuisson, que sa lecture relève de l'enchantement, l'histoire, le style, la langue :

 

Paloma, 12 ans, collégienne :

 

« Voilà donc ma pensée profonde du jour : c'est la première fois que je rencontre quelqu'un qui cherche les gens et qui voit au-delà. Ça peut paraître trivial mais je crois quand même que c'est profond. Nous ne voyons jamais au-delà de nos certitudes et, plus grave encore, nous avons renoncé à la rencontre, nous ne faisons que nous rencontrer nous-mêmes sans nous reconnaître dans ces miroirs permanents. Si nous nous en rendions compte, si nous prenions conscience du fait que nous ne regardons jamais que nous-mêmes en l'autre, que nous sommes seuls dans le désert, nous deviendrions fous. Quand ma mère offre des macarons de chez Ladurée à Mme de Broglie, elle se raconte à elle-même l'histoire de sa vie et ne fait que grignoter sa propre saveur ; quand papa boit son café et lit son journal, il se contemple dans une glace tendance méthode Coué ; quand Colombe parle de ses conférences de Marian, elle déblatère sur son propre reflet et quand les gens passent devant la concierge, ils ne voient que le vide parce que ce n'est pas eux.

Moi, je supplie le sort de m'accorder la chance de voir au-delà de moi-même et rencontrer quelqu'un. »

 

Renée, 54 ans, concierge :

 

« Je considère que mon destin m'a appris, mieux qu'à quiconque, à résister aux suggestions négatives de la pensée mondiale. Je vais vous dire : si, jusqu'à présent, vous imaginiez que, de laideur en vieillesse et de veuvage en conciergerie, j'étais devenue une chose miteuse résignée à la bassesse de son sort, c'est que vous manquez d'imagination. J'ai fait repli, certes, refusant le combat. Mais, dans la sécurité de mon esprit, il n'est point de défi que je ne puisse relever. Indigente par le nom, la position et l'aspect, je suis en mon entendement une déesse invaincue. »

 

(Première chronique sur le même livre : ici)

Publié dans Romans français

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D
<br /> <br /> un livre qui se veut trop bon ?<br /> <br /> <br /> incroyable comme jugement, un livre devient ce que les lecteurs en font. L'intelligence du produit peut être discutable effectivement, l'engouement moins et le<br /> succès arrivé à un certain point de toute façon finit toujours par être suspect. Le phénomène de masse n'a aucune chance de coiffer des lauriers, et j'aimerais bien savoir pourquoi. Ce à quoi on<br /> peut rétorquer "ce n'est pas parce que la majorité l'a lu que je dois l'aimer", oui c'est vrai, la liberté et toute sa théorie, quoi répondre sans passer pour réac, et bien choisir des arguments<br /> plus appropriés peut-être.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> En ce qui me concerne, je l'ai lu aussi à sa sortie (la chronique d'origine date de décembre 2006, si si j'ai vérifié ici)<br /> <br /> <br /> Sur le commentaire d'origine, la phrase "il y avait parfois quelques thèmes et théories philosophiques effleurées, vaguement approchées, soit. Mais certaines pensées du personnage découlaient<br /> donc d'une théorie établie partiellement et clairement orientée." n'est effectivement pas trés claire.<br /> <br /> <br /> L'auteur sème dans la bouche de la concièrge tout un tas de référence, pour épaissir son personnage et montrer l'étendue de sa culture. Point de théorie à mon sens, sinon des pensées à caractères<br /> philosophiques.<br /> <br /> <br /> Même avec le recul, je persiste à penser que ce livre est excellent.<br /> <br /> <br /> Quand à l'engouement suscité, il l'a été par le bouche-à-oreille. Déjà beaucoup moins suspect ...<br /> <br /> <br /> L'éditeur a intelligement surfé sur ce phénomen, les distributeurs aussi (il est resté plus d'un an en tête de gondole ou près des caisses à la Fnac). Mais ce n'est pas un livre qui s'est imposé<br /> par le marketing.<br /> <br /> <br /> C'est pas du Musso quoi !!<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> Oui et non.<br /> <br /> <br /> Je suis partiellement d'accord avec ce charmant descriptif et avis. Certes vous me direz, peut-on critiquer un avis ? Non. Mais j'y oppose le mien. Je suis d'accord à 90%. C'est bien écrit, c'est<br /> un livre qui se lit extrêmement rapidement, un livre que j'ai apprécié pour ses petites morsures faites en finesse, pour ses personnages profonds et même, disons, pour l'histoire.<br /> <br /> <br /> Par contre, je trouve que c'est certes un livre intelligent, mais qui traite ô combien partiellement de certaines choses. Je vous avoue que j'ai lu ce livre à sa sortie et ne l'ai relu depuis,<br /> aussi je ne me souviens pas exactement de ce qui, je m'en souviens, m'avait presque choqué... Mais pour résumer - même si c'est "mal" de résumer - il y avait parfois quelques thèmes et théories<br /> philosophiques effleurées, vaguement approchées, soit. Mais certaines pensées du personnage découlaient donc d'une théorie établie partiellement et clairement orientée. Cela, ne m'a pas été très<br /> plaisant. Je ne sais si je parviens à être claire.<br /> <br /> <br /> En tous les cas, oui c'est un bon livre. Mais peut-être un livre qui se veut trop bon livre. A mes yeux du moins.<br /> <br /> <br /> <br />
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G
<br /> J'ai aussi beaucoup aimé ce lire, que j'ai lu presque d'une traite.<br /> Tu as vu le film ?<br /> J'ai vu quelques images à la télé, et Balasco dans le rôle de Renée ça le faisait pas mal !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> et bien écoute, non, j'ai pas adoré le film. Il a vidé le livre de sa substance, et pourtant je suis aussi un fan de balasko. Pas mauvais mais pas extra. je m'etais exprimé dessus ici<br /> :  http://lectaritude.over-blog.com/article-35239646.html<br /> <br /> <br />
C
L'élégance du hérisson sur une île déserte... Un vrai cauchemar (pire qu'une bouteille de Chateau Margaux sans tire bouchon).
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D
le livre vient de sortir en poche foliole film est prévu le 3 juillet mais aucune bande annonce, aucune affiche, mystère, mystère ...
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